Compte-rendu de l'expérience « Vote de Valeur 2012 »

Introduction

L'élection présidentielle française 2012 a été l'occasion de réaliser une première expérience du Vote de Valeur auprès du grand public. Avec le Vote de Valeur, la question posée à l'électeur n'est plus « quel est votre candidat préféré ? », mais « quelle est votre opinion sur chacun des candidats ? ». Pour répondre, l'électeur donne une valeur à chaque candidat, de -2 (très hostile), à +2 (très favorable). Au dépouillement, le candidat qui obtient le plus de points est élu en un seul tour.

Les objectifs que nous nous étions fixés pour cette expérience étaient les suivants :

  • Offrir aux citoyens la possibilité de tester par eux-même. Changer le système de vote de notre démocratie nécessitera une large adhésion citoyenne. Cette expérience fondée sur le volontariat des internautes n'a pas vocation à fournir des résultats représentatifs de la population française, mais à offrir à tous les citoyens la possibilité de tester par eux-même le vote de valeur sur une élection réelle. Ainsi, chacun pourra en évaluer l'intérêt et la pertinence.

  • Produire une base de recherche inédite. Avec les expérimentations de terrain, seul le 1ᵉʳ tour du système classique peut être comparé avec un autre système. Notre expérience en ligne permettra de comparer le Vote de Valeur avec les deux tours du système actuel sur un corps électoral homogène. Ces résultats inédits pourront être exploités par les chercheurs spécialistes des systèmes de vote (théorie du choix social).

À l'échelle de notre petite association, cette première expérience est un franc succès avec plus de 11 500 participants.

Ce nombre important de votants a permis de compenser une grande partie des biais liés aux conditions de l'expérience (volontariat sur internet) par une technique dite de redressement (voir annexe). Cette technique scientifique permet de rendre l'échantillon représentatif des électeurs français en termes de vote au premier tour, et ce en utilisant les résultats nationaux officiels. L'échantillon redressé ainsi obtenu devient l'équivalent d'un échantillon représentatif de 4 500 électeurs environ, ce qui s'avère bien plus que les sondages habituellement publiés dans la presse (autour de 1000 électeurs).

Les résultats de notre élection virtuelle

L'incohérence confirmée du système électoral actuel

Pour le 1ᵉʳ tour, les données de l'expérience ayant été redressées en fonction des résultats nationaux, nous obtenons naturellement les mêmes résultats (voir en annexe la méthodologie employée).

Au deuxième tour, notre expérience (avant la campagne du second tour) a donné : 54,7% pour Hollande contre 45,3% pour Sarkozy, ce qui correspond sensiblement aux ordres de grandeur affichés par les sondages d'alors.

Mais l'intérêt de l'expérience était d'évaluer les autres duels possibles. Voici les duels avec Bayrou, arrivé en 5ᵉ position au 1ᵉʳ tour :

  • Bayrou vs Mélenchon : 64% / 36%

  • Bayrou vs Le Pen : 79% / 21%

  • Bayrou vs Sarkozy : 63% / 37%

  • Bayrou vs Hollande : 54% / 46%

L'expérience confirme ici un important défaut du système actuel : dans cette logique d'évaluation binaire, le 1ᵉʳ tour a éliminé un candidat capable de l'emporter face à tous les autres au second tour.

La cohérence du Vote de Valeur

Avec le Vote de Valeur, les résultat de chaque candidat est une valeur comprise entre -2 et +2 correspondant à la moyenne des valeurs que les électeurs lui ont attribué :

Contrairement au système actuel, le Vote de Valeur place Bayrou (0,25) en tête suivi de Hollande (0,05). Le candidat capable d'emporter tous les duels au second tour semble donc favorisé. Si Hollande bénéficie de près du double de francs soutiens (+2) par rapport à Bayrou, il est distancé en raison d'un nombre 3 fois supérieur de francs rejets (-2).

Suivent ensuite avec des résultats très serrés Mélenchon, Sarkozy et Joly. Tous les trois sont pénalisés par des rejets importants comparés aux deux premiers.

Les cinq autres candidats sont largement distancés. Le Pen, arrivée en 3ᵉ place au 1ᵉʳ tour du système actuel n'arrive qu'en 8ᵉ place avec le Vote de Valeur du fait d'un rejet massif de près de 64% des électeurs.

Notons enfin que les deux premiers candidats obtiennent une valeur finale positive (+0,25 et +0.05) et sont les seuls à disposer de plus de francs soutiens (+2) que de francs rejets (-2). Voir l'annexe pour le détail des calculs de ce résultat.

Dans cette expérimentation, avec l'offre politique adaptée au mode de scrutin actuel, Bayrou arrive en tête avec le Vote de Valeur. Mais il est éliminé au 1ᵉʳ tour du vote traditionnel alors qu'il remporte tous les duels possibles au second tour, ce qui confirme l'incohérence et la fragilité du système actuel.

Le candidat placé deuxième par le Vote de Valeur est Hollande, bénéficiant de plus de soutiens, mais pénalisé par des rejets plus forts.

L'expressivité du Vote de Valeur a-t-elle été exploitée ?

L'un des intérêts du Vote de Valeur est d'offrir aux électeurs la possibilité de nuancer leur opinion par l'usage des valeurs intermédiaires (-1, 0, +1).

Seuls 0.6% des votants n'ont pas exploité de valeurs intermédiaires, se limitant aux valeurs -2 et +2.

Une analyse détaillée de l'usage des différentes valeurs révèle notamment que :

  • 98% des électeurs ont affecté une valeur à tous les candidats.

  • 84% ont utilisé 4 ou 5 valeurs différentes.

  • Concernant la valeur +2 : 54% des électeurs l'ont utilisée une fois, 18% l'ont utilisée 2 fois, 3% au moins 3 fois et 25% ne l'ont pas utilisée.

  • Concernant la valeur -2 : moins de 3% des votants ne l'ont pas utilisée du tout ; les valeurs négatives sont appréciées des électeurs.

  • Un électeur sur cinq a apporté son soutien maximal à 2 candidats ou plus (impossible avec le système actuel).

L'expérimentation montre sans équivoque une exploitation importante du pouvoir d'expression offert par le Vote de Valeur : l'écrasante majorité des électeurs s'exprime de manière nuancée, en utilisant des valeurs intermédiaires ou en soutenant plusieurs candidats à la fois.

Comment interpréter la richesse des messages des électeurs ?

Le Vote de Valeur fournit une information très riche qu'il est possible d'analyser et d'interpréter. Voici un exemple d'interprétation fondé sur la topologie des courbes de valeurs obtenues par chaque candidat. Ces catégorisations sont naturellement critiquables et n'ont pas de valeur d'universalité. Nous les présentons ici pour illustrer la richesse du message fourni par un système comme le Vote de Valeur (en complément du résultat de l'élection à proprement parler qui est l'ordre d'arrivée des candidats).

Les candidats qui n'ont pas convaincu

Les courbes de ces candidats sont en chute linéaire : un pourcentage élevé (plus de 30%) de francs rejets (-2), jusqu'à un pourcentage très faible (moins de 6%) de francs soutiens (+2).

Les candidats non consensuels bénéficiant d'un mouvement de sympathie

Les courbes de ces candidats souffrent d'un important phénomène de rejet (autour de 30%), mais ont su néanmoins attirer un nombre significatif de soutiens bienveillants (valeurs 0 ou +1).

On peut noter ici le nombre de francs soutiens (+2) à Joly à 9,5%, soit près de 4 fois plus que son score au 1ᵉʳ tour, alors que Mélenchon à 14,9% obtient un score équivalent à celui du 1ᵉʳ tour.

Les candidats marqués par un clivage de l'électorat

Les courbes de ces candidats se caractérisent par un faible nombre de valeurs intermédiaires (comparé aux valeurs extrêmes -2 et +2), ce qui donne une tendance parabolique à la courbe. Le caractère clivant est renforcé par un nombre bien plus élevé de rejets que de francs soutiens (de 2 à 5 fois supérieur).

Les candidats les plus consensuels

Les courbes des deux candidats les mieux classés avec le Vote de Valeur ont pour points communs (et divergents avec les autres candidats) :

  • une tendance générale à la hausse, ce qui se concrétise par une valeur finale positive,

  • davantage de +2 que de -2 et davantage de +1 que de -1.

L'allure générale des deux courbes diverge néanmoins sensiblement du fait du très gros écart de la valeur 0 (12% pour Hollande contre 32% pour Bayrou). Ce point précis est approfondi au chapitre suivant.

Les résultats du Vote de Valeur contiennent plus d'informations que ceux du mode de scrutin classique. La richesse des messages fournis permettent de multiplier les analyses et de donner plus de sens au vote des citoyens.

Les participants ont-ils été convaincus par le Vote de Valeur ?

Après le processus de vote, l'expérience permettait aux votants de répondre à un questionnaire auquel plus de 90% des votants ont accepté de répondre. Voici les résultats aux premières questions. Ces données sont brutes, c'est-à-dire qu'elles n'ont pas été redressées comme celles présentées précédemment.

Dans le système du Vote de Valeur, trouvez-vous l'utilisation du bulletin de vote...

Avez vous le sentiment que votre opinion est mieux prise en compte avec...

Dans le système du Vote de Valeur, diriez-vous que la manière de comptabiliser les résultats est...

Êtes-vous favorable à la mise en place du Vote de Valeur pour les élections..

Alors... convaincu ?

Le Vote de Valeur a convaincu !

Les participants à l'expérience plébiscitent très largement le Vote de Valeur.

Cette expérience, en tant qu'outil de découverte, est un succès : 22% se déclaraient non convaincus avant l'expérience, il n'en reste que 8% après l'expérience. Les convaincus passent de 40% à 65%.

Il faut cependant relever que l'expérience, fondée sur le volontariat des internautes, induit un biais : les plus réfractaires à l'idée d'un changement de système électoral ne se sont probablement pas exprimés ici. Ces résultats devront être confrontés aux expériences de terrain, réalisés dans des bureaux de vote réels.

Des défauts du Vote de Valeur ont-ils été constatés ?

Une ambiguïté sur la valeur 0 qualifiée de "indifférent" ?

L'écart du nombre de valeurs 0 entre les deux finalistes Hollande (12%) et Bayrou (32%) surprend. Dans cette campagne, Hollande était donné favori depuis des mois alors que Bayrou est toujours resté en position d'outsider. Il est peu fréquent de se déclarer "indifférent" concernant un favori ; la pression médiatique incite les électeurs à se positionner plus explicitement concernant ces candidats mis sur le devant de la scène. Cette position de favori peut expliquer ce "trou" de valeurs "0" dans la courbe de Hollande.

Contrairement aux termes choisis des quatre autres valeurs, le terme "indifférent" inclut une 2ᵈ dimension sémantique : en plus de caractériser la volonté de l'électeur (à mi-chemin entre favorable et défavorable), ce terme ambigu intègre l'absence d'opinion : « ça m'est égal, je ne sais pas ». Il est possible que ce soit grâce à ce deuxième sens du mot "indifférent" que des candidats méconnus comme Cheminade ou Poutou obtiennent un peu plus de valeurs 0 que de -1.

Dans nos prochaines expériences, nous pourrions ainsi envisager de proposer une version modifiée du Vote de Valeur :

  • Le remplacement du terme "indifférent" par "mitigé".

  • L'ajout d'une option "Sans opinion" signifiant « je n'ai pas d'opinion, je m'en remets à la volonté de mes concitoyens », afin de donner une possibilité explicite de voter "blanc" pour chaque candidat.

L'électeur a-t-il bien perçu l'impact sur le poids de son vote lorsqu'il n'exploite pas toute l'amplitude des valeurs offertes ?

73% des électeurs ont exploité l'amplitude maximale de valeurs en affectant au moins un "-2" et un "+2" à un candidat.

Parmi les 27% restants, l'électeur a-t-il bien conscience d'avoir limité l'impact de son bulletin de vote sur les résultats de l'élection ? Une analyse croisée entre les résultats du questionnaire et ceux des votes nous incite à penser qu'une petite partie de ces 27% n'a pas exploité la valeur "Très favorable" pour des raisons qui tiennent plus à leur tempérament qu'à leurs opinions politiques (phénomène appelé "response style" en sociologie des votes et sondages).

Cette possibilité offerte par le Vote de Valeur d'émettre un message global d'humeur ou d'auto-limitation au détriment du poids de son bulletin dans le choix du vainqueur est bien entendu un atout (notion de vote partiellement blanc), à condition que cette logique soit bien comprise par les électeurs.

L'expérience ne permet pas d'évaluer ce niveau de compréhension, nous réfléchirons pour la prochaine expérience au moyen d'évaluer la compréhension par les électeurs de cette notion de l'impact du vote sur le résultat en fonction de l'amplitude des valeurs.

Cette difficulté pourra aussi être atténuée à terme avec une sensibilisation adaptée à destination des électeurs.

L'expérimentation a mis en évidence certains défauts à corriger, notamment l'ambiguïté du terme "indifférent" associé à la valeur zéro, qui pouvait être interprété ou non comme un vote blanc.

Perspectives

Cette expérience a permis :

  • de confirmer les défauts du système actuel,

  • de valider nos hypothèses sur le comportement des électeurs face à un bulletin de type Vote de Valeur,

  • de confirmer la pertinence d'un système comme le Vote de Valeur et l'engouement des électeurs pour un système plus expressif,

  • de détecter certaines faiblesses dans notre expérience et dans le mode opératoire du Vote de Valeur que nous nous efforcerons de corriger...

Contacts et remerciements

Cette expérience a été organisée par l'association loi 1901 « Citoyens pour le Vote de Valeur » :

  • http://www.votedevaleur.org

  • contact@votedevaleur.org

Nous remercions tous les bénévoles qui ont permis la réalisation de cette expérience et l'analyse de ses résultats, en particulier :

  • Loïc Alejandro

  • David Game

  • Malorie Game

  • Benoît Lafontaine

  • Andrew Maho

  • Jérôme Senot

  • Sylvain Spinelli

Nous tenons à remercier les chercheurs spécialistes des systèmes de vote (théorie du choix social), qui nous ont soutenus dans notre démarche :

  • Jean-François Laslier, Directeur de Recherche au CNRS, Laboratoire d'Econométrie de l'Ecole Polytechnique

  • Antoinette Baujard, Chaire CNRS "Economie du bien-être", Université Jean Monnet à Saint-Etienne

  • Herrade Igersheim, Chargée de Recherche CNRS, Université de Strasbourg

Merci enfin et surtout à nos 11 500 participants à l'expérience !